Les points clés à retenir
Le bilan carbone devient obligatoire pour un nombre croissant d’organisations avec des sanctions renforcées atteignant 50 000 euros en France et l’extension de la CSRD à plus de 50 000 entreprises européennes d’ici 2029. La méthodologie repose sur l’analyse des trois scopes du GHG Protocol, avec le Scope 3 représentant 70 à 90% des émissions totales pour les entreprises concernées, mais son obligation restant différenciée selon le statut réglementaire (obligatoire uniquement pour les entités soumises à la DPEF). Les bénéfices économiques sont démontrés avec l’optimisation des coûts énergétiques, l’amélioration de l’image de marque auprès de 74% des consommateurs sensibilisés à la RSE et un accès privilégié aux financements verts. L’investissement varie de 1 000 euros pour les solutions SaaS à 200 000 euros pour les accompagnements premium, avec des aides publiques comme le Diag Décarbon’Action.
À partir de 2025, les exigences en matière de reporting climatique montent en puissance. La France aligne progressivement ses obligations nationales (BEGES) avec le cadre européen de la directive CSRD, élargissant le périmètre des entreprises concernées par le bilan carbone. Ce reporting, longtemps perçu comme une contrainte, devient un levier stratégique pour piloter sa transition, anticiper les risques et répondre aux attentes des parties prenantes.
Ce guide synthétise les obligations réglementaires actuelles et à venir, les seuils de conformité, les sanctions prévues et les méthodologies à suivre. Il s’appuie sur des sources officielles, telles que l’article L.229-25 du Code de l’environnement pour le BEGES et la directive européenne CSRD pour les nouvelles obligations de reporting ESG.
Objectif : vous aider à transformer cette exigence réglementaire en opportunité de transformation durable.
Le cadre réglementaire français se renforce en 2025
En France, l’obligation de réaliser un bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) repose sur l’article L.229-25 du Code de l’environnement. Depuis sa mise à jour en 2025, le texte élargit à la fois le nombre d’acteurs concernés et le périmètre des émissions à couvrir, notamment avec l’intégration progressive du scope 3.
Aujourd’hui, environ 5 000 organisations sont concernées par cette obligation réglementaire, selon les critères suivants :
Type d’organisation | Seuil d’obligation | Fréquence | Périmètre minimal |
Entreprises privées (métropole) | > 500 salariés | Tous les 4 ans | Scopes 1, 2 et 3 significatif |
Entreprises privées (DOM-TOM) | > 250 salariés | Tous les 4 ans | Scopes 1, 2 et 3 significatif |
Collectivités territoriales | > 50 000 habitants | Tous les 3 ans | Scopes 1, 2 et 3 |
Établissements publics | > 250 agents | Tous les 3 ans | Scopes 1, 2 et 3 |
Bénéficiaires Plan France Relance | > 50 salariés | Tous les 3 ans | Scope 1 minimum |
Le décret n° 2022-982 du 1er juillet 2022 marque un tournant majeur en élargissant l’obligation au scope 3 – les émissions indirectes de la chaîne de valeur – pour toutes les entreprises soumises à la déclaration de performance extra-financière. Cette extension s’applique depuis le 1er janvier 2023 et représente un changement substantiel puisque le scope 3 constitue généralement entre 70% et 90% des émissions totales d’une entreprise selon les secteurs d’activité.
Un dispositif de sanctions renforcé
Les sanctions ont été drastiquement augmentées par la loi industrie verte d’octobre 2023 :
- Première infraction : jusqu’à 50 000 euros (contre 10 000 euros auparavant)
- Récidive : jusqu’à 100 000 euros
- Nouveau : Conditionnement de certaines aides publiques à la conformité BEGES depuis juin 2024
Le taux de conformité reste préoccupant : selon le Haut Conseil pour le Climat, seulement 31% des entreprises assujetties respectaient leurs obligations en 2018, en baisse continue depuis 2016. Plus de 57% des organisations obligées n’ont jamais publié leur bilan, malgré le renforcement progressif des contrôles par les préfets de région. Cette situation expose les entreprises non conformes à des risques juridiques, financiers et réputationnels croissants.
La plateforme BEGES de l’ADEME centralise les déclarations
L’ADEME gère la plateforme bilans-ges.ademe.fr, point d’entrée unique et obligatoire pour la transmission des bilans. Environ 5 000 organisations sont actuellement assujetties à cette obligation réglementaire. La plateforme utilise la méthode réglementaire version 5 de juillet 2022, qui définit précisément les périmètres d’émissions à déclarer : les émissions directes du scope 1 (combustion, procédés industriels, émissions fugitives), les émissions indirectes liées à l’énergie du scope 2, et désormais les émissions significatives du scope 3 selon un critère d’ampleur fixé à 80% minimum des émissions indirectes.
Au-delà du BEGES réglementaire, l’ADEME maintient et développe plusieurs outils de référence. La Base Carbone®, devenue Base Empreinte en février 2023, constitue la base de données publique officielle de facteurs d’émission, obligatoire pour tous les calculs réglementaires. Cette base, gouvernée par un comité multi-acteurs incluant ministères et fédérations professionnelles, intègre progressivement des indicateurs multicritères au-delà du seul carbone.
Le programme Diag Décarbon’Action, opéré par Bpifrance avec un cofinancement ADEME de 40%, accompagne les entreprises de moins de 500 salariés dans leur démarche. Pour un coût total de 10 000 euros HT, les entreprises bénéficient d’une subvention de 4 000 euros et de 12 jours d’accompagnement sur 6 à 8 mois, incluant la réalisation d’un bilan complet des trois scopes et l’élaboration d’un plan d’action.
Guide pratique : les étapes clés pour réaliser son bilan carbone
Phase 1 : Préparation et cadrage (1 à 2 mois)
- Définition du périmètre organisationnel
- Identification des sites, filiales et activités à inclure
- Choix entre approche « contrôle » (opérationnel ou financier) ou « part de capital »
- Documentation des exclusions éventuelles avec justification
- Constitution de l’équipe projet
- Nomination d’un chef de projet formé ou accompagné
- Mobilisation de référents par service (achats, production, RH, logistique)
- Sensibilisation de la direction pour garantir les moyens nécessaires
- Définition du périmètre opérationnel
- Scope 1 : Émissions directes (combustion, process, fuites)
- Scope 2 : Émissions indirectes liées à l’énergie
- Scope 3 : Autres émissions indirectes (11 catégories minimum à évaluer)
Phase 2 : Collecte des données (2 à 3 mois)
La qualité du bilan dépend directement de la précision des données collectées. Les entreprises doivent rassembler :
- Consommations énergétiques (factures, relevés de compteurs)
- Achats de matières premières et services
- Données de transport (flotte, déplacements professionnels, domicile-travail)
- Immobilisations et amortissements
- Déchets générés et leur traitement
Conseil pratique : Privilégier les données physiques (kWh, litres, tonnes) aux données monétaires pour une meilleure précision. Un ratio moyen de 80% de données réelles et 20% d’estimations constitue un bon niveau de qualité.
Phase 3 : Calcul et analyse (1 mois)
Le calcul s’effectue selon la formule : Émissions = Donnée d’activité × Facteur d’émission
Les facteurs d’émission proviennent obligatoirement de la Base Empreinte de l’ADEME pour les bilans réglementaires. L’analyse identifie les postes les plus émetteurs et les leviers d’action prioritaires, généralement concentrés sur 3 à 5 postes représentant 80% des émissions totales.
La directive CSRD transforme le paysage réglementaire européen
La directive européenne 2022/2464 du 14 décembre 2022, dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), révolutionne le reporting extra-financier en Europe. Elle s’applique progressivement selon un calendrier précis :
Calendrier d’application de la CSRD
Vague | Exercice concerné | Publication | Entreprises visées | Nombre estimé en France |
Vague 1 | 2024 | 2025 | Entreprises déjà soumises à la NFRD | ~200 entreprises |
Vague 2 | 2025 | 2026 | Grandes entreprises (2 critères sur 3 : >250 salariés, >50M€ CA, >25M€ bilan) | ~4 000 entreprises |
Vague 3 | 2026 | 2027 | PME cotées (hors micro-entreprises) | ~500 entreprises |
La directive introduit le principe de double matérialité, exigeant des entreprises qu’elles reportent à la fois leur impact sur le climat (matérialité d’impact) et l’impact du climat sur leur activité (matérialité financière). Les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards), adoptées par le règlement délégué 2023/2772, structurent ces obligations autour de 12 standards, dont l’ESRS E1 spécifiquement dédié au changement climatique.
Exigences spécifiques de l’ESRS E1
Cette norme impose un reporting annuel complet incluant :
- Émissions brutes des scopes 1, 2 et 3 en tonnes de CO₂ équivalent
- Intensité carbone (émissions/chiffre d’affaires)
- Objectifs de réduction alignés sur la science (SBTi recommandé)
- Plan de transition détaillé avec jalons intermédiaires
- Analyse des risques et opportunités climatiques
La transposition française par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 organise une articulation intelligente entre les deux dispositifs : les entreprises soumises à la CSRD peuvent être dispensées du BEGES français si leur rapport de durabilité inclut les informations équivalentes. Cette convergence évite la redondance tout en maintenant un niveau d’exigence élevé.
Toutefois, la directive « stop-the-clock » adoptée en avril 2025 reporte de deux ans les obligations pour les vagues 2 et 3 d’entreprises, témoignant des difficultés d’implémentation rencontrées. Ce report offre un répit aux entreprises pour se préparer mais ne doit pas être interprété comme un signal de relâchement des ambitions climatiques européennes.
Les bénéfices business au-delà de la conformité
Au-delà de l’obligation réglementaire, le bilan carbone génère des bénéfices tangibles pour les entreprises proactives :
Avantages économiques directs
- Réduction des coûts opérationnels : Les entreprises ayant mis en œuvre un plan d’action post-bilan carbone constatent en moyenne une réduction de 15% de leurs coûts énergétiques sur 3 ans
- Accès facilité aux financements : Les entreprises disposant d’un bilan carbone récent bénéficient de conditions préférentielles sur les prêts verts et obligations durables
- Éligibilité aux subventions : De nombreux dispositifs d’aide (ADEME, Bpifrance, Régions) conditionnent leur attribution à la réalisation d’un bilan carbone
Avantages concurrentiels
- Différenciation commerciale : 74% des Français privilégient les entreprises engagées dans la transition écologique selon une enquête CCI France de janvier 2024
- Accès aux marchés publics : De plus en plus d’appels d’offres intègrent des critères carbone représentant 10 à 30% de la notation finale
- Attraction des talents : 83% des jeunes diplômés considèrent l’engagement climatique comme un critère de choix d’employeur
Gestion des risques
- Anticipation réglementaire : Se préparer aux futures obligations (taxe carbone aux frontières, quotas sectoriels)
- Résilience opérationnelle : Identifier les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement face aux risques climatiques
- Protection de la réputation : Éviter les accusations de greenwashing par une démarche transparente et chiffrée
La Stratégie Nationale Bas-Carbone fixe le cap 2024-2030
La SNBC-3, en cours de finalisation, renforce l’ambition climatique française avec un objectif de réduction de 50% des émissions en 2030 par rapport à 1990, contre 40% précédemment. Les budgets carbone sectoriels pour 2024-2028 fixent une enveloppe moyenne de 359 Mt CO₂ équivalent par an, répartie entre les transports (112 Mt), l’agriculture (77 Mt), l’industrie (62 Mt), les bâtiments (60 Mt), la production d’énergie (35 Mt) et les déchets (12 Mt).
Selon les données de l’INSEE pour 2023, les émissions territoriales françaises s’élèvent à 403 Mt CO₂ équivalent, en baisse de 5,6% par rapport à 2022, représentant une réduction de 31% depuis 1990. L’empreinte carbone totale, incluant les émissions importées, atteint 644 Mt CO₂ équivalent, soit 9,4 tonnes par habitant. Le découplage entre croissance économique et émissions se confirme, avec une intensité carbone du PIB de 117,8 g CO₂/euro en 2023, contre 182 g/euro en 2010.
France Stratégie évalue à 66 milliards d’euros par an les investissements supplémentaires nécessaires pour respecter la trajectoire 2024-2030, dont seulement 33% seraient spontanément rentables dans le scénario central, nécessitant 21 milliards d’euros annuels de transferts pour rendre les autres investissements attractifs.
Les organismes reconnus structurent l’écosystème méthodologique
Le paysage méthodologique français s’appuie sur plusieurs référentiels reconnus. La méthode Bilan Carbone®, désormais en version 9 depuis 2025, introduit trois niveaux de maturité (Initial, Standard, Avancé) et garantit la compatibilité avec les normes ISO, le GHG Protocol, la méthode réglementaire française et la directive CSRD.
L’AFNOR maintient le référentiel normatif avec les normes ISO 14064 pour les organisations et ISO 14067 pour l’empreinte carbone des produits, servant de base aux certifications par des organismes accrédités. Ces normes constituent le socle technique international de référence pour toute démarche de comptabilité carbone rigoureuse.
Bpifrance déploie une gamme complète de financements verts, avec notamment le Prêt Vert de 50 000 à 5 millions d’euros sur 2 à 10 ans, le nouveau Prêt Industrie Verte jusqu’à 12 ans pour la décarbonation industrielle, et la Garantie Verte visant 1,5 milliard d’euros de prêts garantis d’ici 2028. L’Autorité des Marchés Financiers supervise le respect des obligations de reporting extra-financier pour les sociétés cotées, avec des contrôles SPOT renforcés et la publication de rapports annuels sur la qualité du reporting climat.
Les erreurs courantes à éviter
Erreurs méthodologiques
- Sous-estimer le scope 3 : Se limiter aux émissions « significatives » sans analyse préalable des 11 catégories
- Utiliser des facteurs d’émission inadaptés : Recourir à des bases internationales au lieu de la Base Empreinte obligatoire
- Négliger les émissions fugitives : Oublier les fuites de fluides frigorigènes représentant parfois 10% du scope 1
- Double comptage : Comptabiliser deux fois les mêmes émissions entre filiales ou entre scopes
Erreurs organisationnelles
- Manque d’implication de la direction : Sans portage au plus haut niveau, la collecte de données devient laborieuse
- Périmètre trop ambitieux : Vouloir tout mesurer dès le premier exercice au lieu d’adopter une approche progressive
- Absence de documentation : Ne pas tracer les hypothèses et méthodologies pour les exercices suivants
- Communication prématurée : Communiquer des objectifs avant d’avoir analysé la faisabilité des leviers d’action
Évolutions à venir : les tendances 2025-2030
Le paysage réglementaire du bilan carbone obligatoire connaît une transformation profonde en 2025. Les évolutions en cours et à venir méritent une attention particulière pour anticiper les prochaines obligations.
Tendances réglementaires et marché
Durcissement réglementaire progressif
- Extension probable du BEGES aux entreprises de plus de 250 salariés d’ici 2027
- Intégration de la biodiversité dans les bilans environnementaux
- Harmonisation européenne des méthodologies et sanctions
Évolution des attentes du marché
- Généralisation des clauses carbone dans les contrats B2B
- Développement de la finance indexée sur la performance carbone
- Émergence de standards sectoriels spécifiques
Innovation technologique
- Automatisation de la collecte de données via l’IoT et l’IA
- Blockchain pour la traçabilité des émissions de la chaîne de valeur
- Jumeaux numériques pour la simulation de scénarios de décarbonation
Recommandations stratégiques pour les entreprises
Pour les entreprises non encore soumises : Anticipez en réalisant un bilan volontaire simplifié pour identifier vos principaux postes d’émissions et vous familiariser avec la démarche. L’investissement initial sera rentabilisé par les économies générées et l’avantage concurrentiel acquis.
Pour les entreprises déjà conformes : Passez d’une logique de conformité à une logique de performance. Fixez-vous des objectifs alignés sur la science (SBTi), intégrez le carbone dans vos décisions d’investissement et développez une culture interne de la sobriété carbone.
Pour toutes les entreprises : Le bilan carbone ne doit plus être perçu comme une contrainte administrative mais comme un outil de pilotage stratégique. Les entreprises qui sauront transformer cette obligation en levier de transformation seront les gagnantes de l’économie bas-carbone de demain.
Conclusion
L’année 2025 marque un tournant dans l’histoire du reporting carbone en France. La convergence entre le BEGES national et la directive CSRD européenne, le durcissement des sanctions jusqu’à 50 000 euros, et l’extension obligatoire au Scope 3 dessinent un nouveau paysage réglementaire face à l’urgence climatique.
Avec seulement 31% des entreprises en conformité, le défi reste immense. Pourtant, les entreprises pionnières montrent que le bilan carbone n’est pas qu’une contrainte administrative, mais un levier de performance économique et d’innovation. Réduction des coûts énergétiques, accès aux financements verts, et avantage concurrentiel sont autant de bénéfices tangibles.
L’écosystème français dispose désormais de tous les outils nécessaires : la plateforme ADEME, la Base Empreinte, les normes ISO, les dispositifs Bpifrance, et les programmes comme Diag Décarbon’Action.
Dans un contexte où la France vise la neutralité carbone en 2050 et une réduction de 50% des émissions dès 2030, chaque organisation a un rôle à jouer. Le bilan carbone obligatoire n’est que la première étape. Les entreprises qui l’intègrent dès maintenant dans leur stratégie seront les leaders de demain.
Le message est clair : mesurez vos émissions, identifiez vos leviers d’action, et transformez votre modèle d’affaires. Le temps de l’action est venu.
Calculez l’empreinte de votre entreprise
Sources utilisées
Légifrance (Code de l’environnement) –Source du cadre légal français, notamment l’Article L. 229-25 (définition de l’obligation, seuils, périodicité) et le Décret n° 2022-982
DEME (Agence de la transition écologique) : Organisme fournissant la méthodologie réglementaire française, administrant la plateforme de déclaration obligatoire
GHG Protocol : Standard international de comptabilité carbone utilisé comme référentiel méthodologique pour la définition et la structuration des trois scopes d’émissions (Scopes 1, 2 et 3) à l’échelle mondiale.
